Qui, ne s’est pas déjà dit, lors d’une dispute familiale, ou d’un désaccord profond avec son équipe ou N+1, qu’il fallait absolument que « je mette mes émotions de côté, que je les ignore, ce n’est que comme ça que je vais pouvoir trouver LA solution » ! Avec souvent comme justification: « Ces émotions qu’elles soient positives ou négatives ne peuvent que desservir ma décision, me mettre sur une fausse route et en difficulté ».
Devons-nous vraiment inhiber nos ressentis émotionnels pour agir intelligemment ? Est-ce donc cela de savoir « bien gérer ses émotions » ?
Nous opposons bien trop souvent émotion et intelligence. Nous confondons bien trop souvent émotion et limite cognitive voire intellectuelle. Mais que nous disent les sciences cognitives à propos de nos émotions et de leur rôle dans notre vie de tous les jours ? Sont-elles aussi si inutiles ? Sont-elles absolument à mettre de coté pour avoir un raisonnement dit « intelligent » ?
Cependant, les études scientifiques autour du rôle des émotions chez l’humain sont unanimes : nos émotions ne sont pas là par hasard, bien au contraire ! Elles sont des informations précieuses d’aide à la décision, au raisonnement et sont au centre de nos apprentissages !
Et si l’émotion était la propriété même d’un système intelligent ?
Dans la récente série télévisée de science-fiction Westworld, y est décrit un parc d’attractions futuriste où humains et robots se côtoient. Dans ce parc, des androïdes « hôtes » ont été créés pour interagir avec les « invités » humains et satisfaire leurs rêves et fantasmes les plus fous. Durant l’un des épisodes, l’androïde Dolores (un des personnages principaux de la série) est interrogé par un humain sur un événement survenu dans le parc. Lors de l’interrogatoire, les réponses de Dolorès face à l’examinateur sont d’abord chargées d’émotions. Dolorès est peu compréhensible, les réponses sont confuses, l’examinateur perd patience et lui demande de répondre en commandant à son système de répondre selon le mode ‘cognition seule’. Ainsi Dolorès répond alors sans aucune trace d’émotion, ce qui la rend compréhensible et claire.
Cette histoire fictive n’est pas anodine, puisque cette vision de l’intelligence artificielle correspond sur plusieurs aspects à un certain idéal de l’intelligence humaine ! L’intelligence doit être basée sur la logique, et l’émotion ne doit pas interférer avec nos communications, actions, et prises de décision. Comme si l’intelligence ultimerésiderait dans notre capacité à dissocier complétement nos émotions de notre « cognition ». Mais est-ce vraiment le cas ?
Au contraire pour Dr. Luiz Pessoa1, chercheur en neurosciences cognitives à l’université de Maryland, tout système intelligent (humain ou artificiel) doit non seulement ressentir des émotions, mais doit aussi intégrer son ressenti émotionnel dans chaque tâche cognitive (par exemple, ce sur quoi porter attention, comment planifier un mouvement, prendre une décision ; résoudre un problème …). A cela il présente deux découvertes scientifiques majeures de ces dernières décennies : d’une part nos émotions nous aident à organiser/catégorisernos perceptions, nos décisions et nos actions ; d’autre part notre cerveau est naturellement construit pour intégrer nos émotions dans toute tâche.
Et si nos émotions constituaient les ingrédients indispensables pour catégoriser nos perceptions, décisions et actions ?
Non, nos émotions sont loin d’être un signal superflu. Elles sont au contraire des informations très précieuses qui nous permet à chaque instant de pouvoir s’adapter à notre environnement. En effet, l’émotion doit être vue comme une faculté, qui nous permet d’évaluer les bénéfices et les coûts associés à toute perception et toute action. Nous éprouvons par exemple de la joie quand nous sommes confrontés à des situations qui nous sont bénéfiques, a contrario nous ressentons de l’appréhension et de l’angoisse face à des situations qui nous sont potentiellement néfastes, et cela nous permet de rectifier de futures décisions ou actions.
Les études en neuroimagerie montrent en particulier que les émotions ont une influence cruciale et automatiquesur la manière dont nous percevons le monde autour de nous et surtout comment nous le catégorisons ! En effet en fonction du contexte dans lequel nous nous situons, nous allons sélectionner les éléments pertinents pour agir sur cet environnement et nos émotions ont un rôle crucial dans ce processus. Les régions cérébrales chargées du traitement visuel et auditif répondent notamment plus fortement aux images et sons auxquels nous associons une certaine émotion2. D’un point de vue comportemental cela se reflètera par exemple à faire en général plus attention et à réagir plus rapidement aux stimuli chargés d’émotions par rapport aux stimuli neutres. Par exemple, nous remarquons plus facilement et rapidement un visage heureux ou effrayé qu’un visage sans expression3. Les émotions influencent donc directement nos systèmes perceptifs en catégorisant l’informationpour nous permettre de traiter efficacement et rapidement ce qui se passe devant nous et s’adapter.
Ainsi ce que nous suggèrent donc ces récentes données est que l’émotion reflète une valeur qui aide à catégoriser l’information sensorielle et de les classer par ordre de priorité ! Bloquer ces ressentis émotionnels signifieraient mettre de côté ces informations précieuses de valence, et potentiellement prendre des décisions inadaptées par rapport au contexte!
Et si nos émotions et notre cognition étaient interconnectées ?
Enfin, si émotion et raison ont bien souvent été mis en opposition c’est que nous n’avions pas assez d’informations à notre portée pour pouvoir étudier ce phénomène si complexe. Grâce à l’avancée technologique et notamment des techniques en neuro-imagerie nous avons eu accès à des informations que nous n’avions jamais eu sur l’interaction entre traitement des informations émotionnelles et de nos prises de décision!
La recherche en neurosciences cognitives nous confirme qu’émotion, raisonnement et prise de décision sont étroitement liées et que le cerveau intègre ces fonctionnalités constamment4. Les récentes recherches5 en IRM fonctionnelle en particulier nous ont permis de mettre en évidence l’anatomie des réseaux cérébraux associés à chaque fonction cognitive. Ces recherches montrent que le traitement des émotions recrute un réseau complexeincluant de nombreuses régions cérébrales. Notamment, l’amygdale et l’insula, zones du cerveau qui répondent de façon préférentielle aux émotions, sont connectées au striatum et au cortex fronto-pariétal, régions cérébrales liées aux fonctions exécutives et à la prise de décision. Notre cerveau est donc câblé de sorte à ce que les structures qui sont responsables de la perception et la production des ressentis émotionnels sont directement connectées aux structures qui gèrent et qui sont responsables de nos décisions, raisonnement, et actions. Nos émotions ne sont donc pas déconnectées de nos raisonnements, loin de là, ils fonctionnent ensemble en permanence !
Pour conclure, les données de la recherche nous montrent bien que nos émotions sont loin d’être un défaut ou un bruit de notre fonctionnement à mettre de coté ! Vouloir dissocier nos émotions de nos actions est non seulement une erreur mais également un non sens d’un point de vue neurobiologique. Car notre cerveau est loin d’avoir des modules « émotion » et « cognition » séparés, et notre architecture cérébrale est naturellement organisée de sorte à intégrer nos émotions au traitement de chaque tâche cognitive. Mettons derrière nous nos fausses croyances, bien trop rattachées au « désordre de l’âme et de la raison ». Travaillons à identifier, analyser, et gérer nos émotions pour avoir le raisonnement le plus intelligent possible ! Redéfinissons ainsi l’intelligence à la lumière des sciences cognitives, et replaçons l’émotion au cœur de celle-ci!
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